Déconstruire les idées reçues : Le senior n’est pas le « boomer » contre la planète
Le poids des chiffres
L’idée d’un désintérêt des 60 ans et plus pour les enjeux climatiques est une fiction. L’étude de Parlons Climat le montre : les seniors se montrent tout aussi concernés par l’état de la planète que les autres catégories d’âge.
Certes, il existe une nuance que nous ne pouvons ignorer : en raison d’un meilleur niveau de vie et d’une plus forte proportion de propriétaires (avec des logements souvent plus grands et moins performants énergétiquement), l’empreinte carbone individuelle moyenne des seniors peut être supérieure.
Mais c’est là que l’insolence du réel frappe l’idée reçue. Cette empreinte élevée est souvent contrebalancée par une sobriété quotidienne héritée : le tri des déchets est un réflexe, l’économie d’eau et d’énergie est une habitude. Ils sont les gardiens d’une forme d’écologie de la frugalité.
Page 37 de l’étude “Les seniors et l’engagement climatique” – Parlons Climat, Octobre 2025
Plus qu’une affaire de segmentation
Pour Amélie Deloffre, le véritable blocage se situe dans le discours, pas dans la démographie.
On a trop longtemps fait de l’écologie l’affaire exclusive d’une certaine frange politique. C’est le nœud de l’enjeu. Il faut se dire que l’environnement c’est transverse. Le travail de Parlons Climat est aussi de détricoter l’idée reçue que « l’écologie est nécessairement de gauche » pour en faire un sujet d’intérêt général.
Le problème n’est pas que les seniors sont des « boomers » ; c’est que le mouvement climat a échoué à les interpeller sur leurs valeurs fondamentales. La segmentation simpliste (jeunes/vieux, riches/pauvres) est une erreur d’analyse. La communication climatique doit s’adapter pour enfin engager les citoyens, quel que soit leur âge ou leur couleur politique.
Le piège de la polarisation
L’étude de Parlons Climat révèle une contradiction fondamentale : si les seniors soutiennent majoritairement les politiques climatiques, ils affichent une « affinité limitée » avec le mouvement écologiste traditionnel, souvent perçu comme trop partisan ou trop radical.
Amélie Deloffre explique cette dualité par le glissement des polarisations affectives dans la société. Contrairement à d’autres groupes qui se ferment au dialogue dès qu’une opinion politique diffère, les seniors sont moins sensibles à cette polarisation. Ils cherchent à nouer le dialogue et à s’engager à travers des liens forts (famille, religion, proximité locale), et non via des mouvements jugés d’« entre-soi » (souvent jeunes, urbains, ou de gauche).
L’opportunité est là : il est tout à fait possible d’être inquiet pour l’environnement sans être nécessairement « de gauche » ; une voie essentielle pour élargir la mobilisation au-delà des cercles militants.
Les piliers de l’engagement senior
L’engagement des aînés ne s’exprime pas sur les réseaux sociaux ni dans des blocages spectaculaires. Il est plus profond, plus discret, mais il peut s’avérer également plus structurant.
La transmission et la générativité
C’est le moteur émotionnel le plus puissant. Si le senior s’inquiète, c’est avant tout pour sa descendance.
L’image de couverture de l’étude de Parlons Climat, inspirée du mouvement américain Third Act, est limpide : « I’M HERE FOR MY GRANDCHILDREN. » L’écologie n’est plus une idéologie, c’est un enjeu de legs vital.
Lors de l’interview, Amélie Deloffre a souligné l’importance de relier l’action climatique à l’une de leurs valeurs principales : la sécurité.
« Maîtriser son environnement, s’adapter, le prévoir, anticiper… c’est aussi mettre ses petits enfants en sécurité, sa progéniture à l’abri pour le futur. Je trouve ça super porteur. »
Le temps et l’expérience
Avec l’entrée en retraite, se libère un immense capital temps. C’est ce capital qui fait tourner de nombreuses associations sur tout le territoire. L’étude de Parlons Climat rappelle d’ailleurs qu’il est important de « penser l’engagement des seniors au-delà de leur rôle de donateurs pour les ONG » en valorisant leur rôle essentiel de bénévoles retraités.
De plus, cette génération est dépositaire de savoir-faire oubliés par l’ère de la consommation de masse : la réparation, le jardinage vivrier, la cuisine zéro-gaspillage. Ils incarnent une résilience que la jeunesse découvre.
Le pouvoir économique et civique
Les seniors détiennent un poids économique et politique considérable, deux leviers qui font bouger les lignes.
- Le pouvoir civique : Leur taux de participation électorale reste l’un des plus élevés. Leur vote est un signal fort que l’on ne peut ignorer, faisant d’eux une cible pour les programmes politiques environnementaux.
80% des 65-80 ans déclarent toujours voter aux élections.
Le chiffre passe à 36% pour les 18-34 ans et la moyenne française est à 58%.
(Sources : Parlons Climat 2025 et INSEE).
- Le pouvoir économique : Pour beaucoup, ils sont propriétaires, épargnants et actionnaires. À l’étranger, les mouvements comme Third Act aux États-Unis mobilisent spécifiquement les baby-boomers pour utiliser leur poids financier afin d’interpeller les banques et lutter contre le financement des énergies fossiles. C’est la preuve que l’activisme peut aussi prendre la forme de l’influence financière.
L’action au quotidien : Une écologie discrète mais structurée
Les « Petits Gestes » comme piliers
Pour les seniors, les pratiques de sobriété sont ancrées. Leur motivation est souvent double : écologique par conscience, mais surtout économique par habitude et prudence. Réparer plutôt que jeter, consommer local pour la qualité et la proximité, éteindre la lumière pour réduire la facture.
Ces « petits gestes » sont des réflexes durables qui ont un impact écologique massif et constant.
Ce sont ces pratiques, répétées par des millions de foyers, qui constituent le socle de l’écologie du quotidien.
Le rôle éducatif et le pont intergénérationnel
La transition ne se fera pas dans l’opposition, mais dans le dialogue. Les seniors sont dans une position idéale pour assurer le rôle de passeur. Ils ne jugent pas l’empreinte numérique des plus jeunes, mais peuvent leur transmettre le goût du « fait-main » et du « bien-vivre » local.
C’est pourquoi Parlons Climat insiste sur la nécessité d’une communication climatique adaptée : il faut proposer des solutions, non des leçons. La mission du senior n’est pas de culpabiliser, mais de partager des solutions et son expérience d’un monde moins rapide.
“Être senior c’est être un tuteur qui tient les jeunes, qui aide, qui accompagne. On a des messages à délivrer, on est des témoins, des passeurs.” Jean, 69 ans, ex- agent technique achats (Citation tirée de l’étude Les seniors et l’engagement climatique – Parlons Climat, Octobre 2025)
L’engagement local et associatif
En France, la force de l’engagement senior se voit dans l’action locale. On les retrouve :
- Dans la gestion des AMAP ou des jardins partagés.
- Dans les associations de protection de la nature et de l’environnement au niveau régional.
- Au sein des « Grands-parents pour le climat », qui se mobilisent pour un avenir viable pour leurs petits-enfants.
Cet engagement de proximité est le maillon essentiel entre la prise de conscience globale et l’action concrète sur le territoire.
Vers une convergence des engagements
L’entretien avec Amélie Deloffre est un plaidoyer pour l’humilité et la stratégie : la transition sera réussie lorsque l’on aura réussi à mobiliser au-delà de la bulle militante.
Mais comment y parvenir ? C’est là que le travail de fond de Parlons Climat, notamment via ses ateliers de formation pour les ONG, journalistes et institutionnels, frappe fort. Interrogée sur l’erreur de communication la plus fréquente, Amélie Deloffre est catégorique : l’entre-soi.
« Le déclic, c’est la découverte des familles de valeurs. On porte tous des lunettes différentes. On découvre qu’on est dans un entre-soi. C’est à nous de nous adapter, c’est un changement de posture. »
L’Appel de 22EME SIECLE
Chez 22EME SIECLE, nous le disons haut et fort : la force des seniors est un capital d’expérience que la transition écologique ne peut plus se permettre d’ignorer. Cessons de les voir comme des donateurs, des freins ou des figures dépassées.
La transition écologique du XXIe siècle ne sera pas une guerre de tranchées générationnelle. Elle sera une convergence des énergies, où l’urgence et la radicalité des jeunes rencontreront la constance et la résilience des aînés. C’est dans cette unité que réside la force motrice pour accélérer le changement.

